L'étude des gaz produits par l'appareil digestif connaît des progrès rapides. Son importance ne saurait être minorée, avertissent les médecins. Question de régime alimentaire. Dans le comté irlandais d'Offaly, après l'incendie d'une étable, la police put reconstituer les circonstances de l'accident: par plaisanterie, l'agriculteur avait voulu enflammer ses propres gaz intestinaux à l'aide d'une allumette, ce qui, à la suite d'une éruption particulièrement violente, avait mis le feu à une balle de foin voisine. Le monde entier s'esclaffa. Surtout à propos du flatuologue américain Michael Levitt, qui avait établi qu'en approchant une flamme des émissions de vents périanaux on pouvait obtenir des flammes de 25 centimètres et plus. Les profanes ne sont pas les seuls à perdre leur sérieux quand on parle de la flatuologie. Les médecins aussi. Mais cette science relativement jeune, qui se consacre aux gaz intestinaux (en latin: flatus), a récemment accompli des progrès gigantesques. Avec l'aide des techniques modernes, la flatuologie a réussi à décrypter de façon exhaustive l'énigme de la pathogénèse et de la physiologie du vent. On a ainsi découvert, entre autres:
Le volume de gaz émis à cette occasion varie entre 0,2 et 2,1 litres par jour, selon la nature de la masse alimentaire à digérer. A l'unité -ce que les spécialistes nomment Forced Expelled Volume (FEV, volume expulsé de force)-, les gaz sont émis en proportion moyenne de 40 millilitres. Les gens atteints de météorisme expulsent jusqu'à 5,2 litres de gaz (le maximum mesuré jusqu'à présent) par jour. "Les connaissances dans le domaine des gaz intestinaux ont littéralement explosé", explique le professeur de médecine américain David Altman dans le Western Journal of Medicine. Les physiologistes néerlandais ont, par exemple, déterminé que les nouveau-nés produisaient leur première flatulence trente minutes après la naissance. "La flatuologie pourrait progresser encore plus. Mais, quand nous en parlons aux gens, ils ne veulent pas servir de sujets de tests à la flatuologie", déplore le gastro-entérologue anglais John Phelps. La honte, selon lui, les en empêche. Les cobayes doivent ainsi établir le nombre et le moment de leurs émissions sur des flatulogrammes ou classer leurs crépitations selon leur activité sonore et olfactive sur une échelle à cinq valeurs. Parfois, on les attache dans des centrifugeuses afin d'accélérer le processus d'émission des gaz. Ou on leur enfonce, souvent pendant toute une journée, une sonde dans le rectum -quand, par exemple, on veut mesurer la pression et la vitesse d'expulsion des crépitations ou évaluer la composition de leurs gaz. Résultat: le flatus s'échappe à une vitesse comprise entre 0,1 et 1,1 mètre par seconde. Il est composé de 60% d'azote, 5% d'oxygène, 15% de gaz carbonique et 20% d'hydrogène -ce ne sont là que des données statistiques moyennes, car, comme l'indique M. Levitt, "dans la réalité intestinale, aucun flatus ne ressemble à un autre." Ainsi, les chercheurs ont-ils pu établir que les gaz contiennent également du méthane chez près d'un tiers des personnes testées, ce qui a amené la Schweizerische Medizinische Wochenschrift à mettre en garde ses lecteurs chirurgiens. "Le méthane est inflammable et peut donc, dans le cas d'une électrocoagulation par rectoscope, provoquer des explosions." Grâce à 11 volontaires américains, la recherche a découvert où et comment se constituaient les gaz dans l'intestin: pendant quatorze jours, ils ont vécu avec trois sondes dans le corps -dans l'estomac, dans l'intestin et dans le rectum. Les vents sont produits, selon les résultats de l'évaluation des données, par la fermentation de la bouillie digestive dans la partie droite (montante) du gros intestin et par les bactéries saprogènes dans la partie gauche (descendante). Les gaz qui apparaissent, hydrogène et gaz carbonique, rencontrent dans le gros intestin oxygène et azote, qui sont arrivés dans le système digestif en passant par l'estomac à la suite de l'ingestion d'air lors de la prise d'aliments ou de boisson. Près de 15 litres de gaz inodores sont ainsi produits lors de la digestion d'un repas moyennement lourd. Seule une portion très réduite de ces gaz parviennent à la porte de sortie; cela est dû au fait que la grande majorité du gaz produit diffuse dans le sang à travers les parois intestinales et est expulsée par les poumons. Si la répartition des gaz fonctionne correctement, la pression gazeuse dans l'intestin est si faible qu'un "phénomène de résonance sphinctérale" ne peut avoir lieu -c'est pourquoi 70% des vents restent muets. En revanche de légers déséquilibres dans le système digestif (inévitables et normaux) provoquent des crépitations que l'on peut entendre, selon la position de contraction du muscle d'obturation. A plus haute altitude, le processus de diffusion intestinale est inversé: du fait de la pression atmosphérique réduite, les gaz du sang se dilatent et passent dans l'intestin. A partir de 3500 mètres, on constate ce que les scientifiques appellent la High Altitude Flatus Expulsion (HAFE). A partir de 7000 mètres, l'alpiniste flatule, comme l'ont montré les tests, toutes les onze minutes -un Flatus Flow Rate moyen qui reste inférieur aux quelque 300 epd (emissions per day) que peuvent atteindre les patients atteints de météorisme aigu. "Plus le montagnard va haut, plus se renforce sa propulsion autogène, ce qui le pousse vers le sommet", ricane l'Américain Munroe Scott. Un rire parmi tant d'autres, qui prouve que même les spécialistes ne peuvent éviter de tourner en dérision le flatus. C'est avec une joie apparemment sans mélange que les médecins parlent de "chuintements", "grondements frémissants", "roulements mouillés" et autres "canonnades crépitantes", quand ils abordent ce thème dans les colonnes réservées au courrier des lecteurs dans la presse spécialisée. "De nombreux médecins, reproche à ses collègues le spécialiste américain de l'intestin Elgar Fox, ne prennent pas assez au sérieux ce problème grave." Ainsi, le nombre de patients qui se plaignent de flatulences ou même de météorisme a progressé au cours des dernières années, conséquence de la tendance à une alimentation plus riche en substances de lest et à des régimes végétariens. Car de nombreuses sortes de fruits et légumes, en particulier les féculents comme les haricots et les petits pois, ne sont qu'incomplètement digérés dans l'intestin grêle. On retrouve ainsi, entre autres, dans l'intestin grêle du rhamnose et du stachyose, deux hydrates de carbone de la famille des mono- et oligosaccharides. Là, ils déclenchent des processus de fermentation en quantités considérables, ce qui provoque une forte émission d'hydrogène; cette charge supplémentaire de gaz passe par le rectum sous une pression relativement élevée, ce qui explique qu'une flatulence due à une alimentation particulière soit en règle générale sonore. Des processus digestifs irréguliers sont aussi responsables de la fabrication de produits volatils de décomposition des protéines comme l'indole, le scatole et surtout l'hydrogène sulfuré, qui confèrent au flatus son côté fétide. Leur intensité olfactive est si forte qu'il suffit d'en mélanger des quantités infimes de dix parties par milliard pour aromatiser un flatus. "Ces gaz de trace, dans un intestin sain, ne constituent que 1% de la production intestinale de gaz, constate le Pr. Altman. Mais ils sont à l'origine de 99% de tous les désagréments." Les spécialistes s'intéressent au problème du flatus inflammable: ces vents comportant du méthane et qui émettent une flamme bleue à l'allumage d'où leur désignation de "blue angels". La science a découvert qu'à l'origine de la production de méthane se trouvait la bactérie Methanobrevibacter smithii. Mais pourquoi ne la rencontre-t-on que dans l'intestin de 30% de l'humanité? "Tout nous porte à croire, résume le pape du pet Michael Levitt, que cela doit avoir une origine génétique." Mais il met en garde, avec un sourire malicieux, "contre toute recherche pratique sur ce thème dans le cercle familial." Car en cas d'accident, outre les dommages, il faudrait encore supporter l'ironie -comme l'agriculteur du comté d'Offaly; à la suite de l'incendie de son étable, l'Irish Times fit un article de portée nationale. Titre: "Autant en emporte le vent". Extrait du Courrier Internationnal, selon Der Spiegel |
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